La « Réconciliation » de Maguelone (14 juin 1875) • Chronique d’Alain Guerrero

La Réconciliation de Maguelone. Dessin de Bonaventure Laurens (L’Illustration du 3 juillet 1875)

Une partie de cette histoire vous a été dévoilée dans le n°230 du Portail,
découvrez là ici dans son intégralité.

1875-2025. Voilà 150 ans que la cathédrale de Maguelone a été restituée au culte, lors d’une cérémonie particulière appelée « Réconciliation« . Un peu d’histoire :

Après la Révolution, le domaine de Maguelone est vendu comme bien national le 3 mars 1791. En 50 ans, le domaine va passer entre les mains de 5 propriétaires différents. La cathédrale est classée monument historique en 1840.

C’est en juillet 1852, que Jacques Bonaventure Frédéric Fabrège achète le domaine pour la somme de 130 000 francs. Son fils Frédéric a alors 11 ans. Après des études de droit, et une formation à l’Ecole des Chartes, le jeune Frédéric va exercer son métier d’avocat, avant de se consacrer exclusivement à la restauration de la cathédrale et à l’aménagement de l’ile.

La cathédrale, meurtrie est ouverte aux quatre vents. En 1830, un archéologue de Toulouse raconte qu’une troupe de gardes nationaux, accompagnés d’étudiants de Montpellier sont venus à Maguelone fraterniser avec les patriotes villeneuvois. Ils se sont adonnés à une véritable orgie profanant ces lieux sacrés. Les bâtiments sont à l’abandon. Le choeur de la cathédrale sert à la fois d’étable et de grenier à foin. Les sarcophages en pierre font office d’abreuvoir. « Les barbares contemporains ont défiguré et décapité les images des évêques, gratté les inscriptions » (Adolphe Ricard)

Frédéric Fabrège et Monseigneur de Cabrières évêque de Montpellier, à l’époque de la Réconciliation de Maguelone, en 1875.

Lorsque Mr Fabrège prend possession des lieux, on y pratique un peu de culture céréalière. Un troupeau de moutons et de chèvres, et quelques chevaux occupent un espace quelque peu abandonné. Dès 1860, le nouveau propriétaire va constituer un domaine viticole en plantant de la vigne. Pour faciliter l’accès à l’ile, il fait construire un chemin qui relie Maguelone à Palavas. C’est lui qui va commencer à restaurer la cathédrale en ruines, mais c’est son fils Frédéric qui va poursuivre l’œuvre entreprise. Ce sera désormais « le but de sa vie ». Il va consacrer tout son temps et son argent à remettre en état le bâtiment en piteux état. Fabrège est un fervent chrétien pratiquant et envisage le devenir de la cathédrale.

Il lui est impossible d’imaginer que ce berceau épiscopal, ce haut lieu de la chrétienté, deuxième église après St Pierre de Rome, puisse disparaître à jamais de la liturgie chrétienne. Après des siècles de désacralisation, Fabrège nourrit le secret espoir de restituer le bâtiment au culte au cours d’une cérémonie appelée « Réconciliation« . Le 27 avril 1875, il adresse un courrier à Mgr de Cabrières, évêque de Montpellier, nouvellement nommé à la tête du diocèse. « Il est temps, Monseigneur de faire cesser au plus tôt une profanation…Nous vous connaissons trop pour savoir que vous êtes impatient de restituer au culte le monument le plus vénérable du diocèse. »

Le prélat accède à la demande de Fabrège et la cérémonie est fixée au lundi 14 juin 1875. L’événement est relayé par la presse locale sauf La République du Midi qui raille un peu l’événement voulant faire passer Fabrège pour un monarque autoritaire et fantasque.

Cependant l’événement va connaitre un succès au-delà des espérances du propriétaire des lieux. La presse locale s’épanche avec force détails sur le déroulement de la journée. Des trains spéciaux sont mis en place par la Cie des chemins de fer d’intérêt local de l’Hérault. Plus de 3000 personnes se pressent pour assister à cette cérémonie dont la presse s’est fait largement l’écho. Lisons le compte-rendu du quotidien L’Union Nationale du 16 juin 1875 : « A droite la locomotive du chemin de fer de Palavas déversait de véritables foules de voyageurs. On voyait courir tout ce monde vers les embarcations amarrées tout le long du Grau. Devant nous, faisant face à Villeneuve, c’était un spectacle vraiment magique que toutes ces flottilles arrivant par l’étang de Lattes et par les directions opposées du canal et venant s’amarrer au pied de Maguelone… Chacun sans distinction de rang pénétrait dans l’habitation de Mr Fabrège où un buffet approvisionné offrait aux estomacs éprouvés par le voyage et par la chaleur de réconfortantes friandises et de délicieux rafraîchissements. »

Dans le Messager du Midi du même jour, on peut lire également : « Des attelages élégants en très grand nombre attestent la présence d’une partie de l’aristocratie montpelliéraine. La cour extérieure de la maison était bondée de toilettes d’une richesse et d’un goût parfait, et occupée par des personnages appartenant soit à des administrations, soit aux facultés, soit à la science. Le clergé attendait sur la route. La musique du 2ème régiment du Génie rangée devant la maison de Mr Fabrège anima le début de la cérémonie. Quelques membres du clergé allèrent ensuite à Villeneuve-lès-Maguelone chercher les hosties consacrées qui allaient être placées dans le nouveau tabernacle. »

Et l’illustration dans son édition du 3 juillet 1875 d’ajouter : « Le caractère pittoresque n’a pas manqué, barques à voiles blanches ou à rames amenant de belles dames en toilettes, tentes improvisées abritant de joyeuses réunions, groupes assis à l’ombre de la vieille architecture, société aristocratique et peuple consommant à gogo les rafraîchissements distribués avec prodigalité par le maître des lieux.« 

Il n’y a pas de représentant officiel de la municipalité de Villeneuve parmi la foule des autorités civiles ou religieuses présentes à cet événement. On comprend aisément connaissant les relations conflictuelles qui opposent le propriétaire de Maguelone à la municipalité républicaine de Villeneuve.

A 3 heures et demie, les tambours annoncent l’arrivée de Mgr de Cabrières. L’évêque est suivi d’un grand nombre d’ecclésiastiques. La famille Fabrège se tient devant le portail. Valentine et Eugénie, les 2 filles de Frédéric Fabrège présentent un coussin de soie où sont déposées 2 clés, l’une en or, l’autre en argent représentant les armoiries de l’ancien chapitre de Maguelone. Mgr de Cabrières très touché par cette attention remercie chaleureusement Frédéric Fabrège et le félicite pour l’oeuvre entreprise. La cérémonie de la Réconciliation peut commencer. En premier, les murs extérieurs et les dépendances sont bénis. Après l’arrivée de la réserve des hosties, le cérémonial suit son cours. A ce moment-là seulement, les portes s’ouvrent toutes grandes et la population s’engouffre et se presse à l’intérieur de la cathédrale. A l’issue de la cérémonie, une centaine d’enfants de Villeneuve reçoivent le sacrement de Confirmation par Mgr l’évêque lui-même. Du haut de la tribune, les cantiques résonnent enfin à nouveau, après cinq siècles de silence.

A dix heures du soir, la cérémonie est terminée. Du toit de la cathédrale, on aperçoit sur la mer une flottille de barques étendant leurs voiles. Sur le canal et sur l’étang, une quantité de nacelles chargées de touristes et de pèlerins sur le chemin du retour. Le long de la route bordée de tamaris, la foule s’écoule et disparait dans l’ombre se dirigeant vers Palavas pour prendre le petit train qui les ramènent à Montpellier.

Et Frédéric Fabrège, dans le calme de l’ile retrouvé, peut savourer cet instant, avec le sentiment du devoir accompli.